XI. LE SPECTACLE THÉÂTRAL MÉDIÉVAL:
DU MYSTÈRE À LA FARCE


3. LA FARCE DE MAÎTRE PATHELIN (vers 1465)

            Chef d'oeuvre du théâtre comique médiéval, la Farce de Maître Pathelin (1470 vers, trois fois plus que la plupart des farces), combine avec adresse plusieurs intrigues, exploite avec un instinct dramatique sûr les divers ressorts du comique, tout en évitant la vulgarité de ton et le schématisme souvent présents dans les autres farces, pour camper un monde dominé par l'astuce et l'hypocrisie.

            Avocat depuis longtemps sans procès, Pathelin trouve un moyen ingénieux de se procurer le drap dont il a besoin sans payer: par des propos flatteurs il convainc le drapier à lui donner six aunes de drap et à venir récupérer l'argent à la maison et dîner en même temps. Lorsque le marchand se présente chez l'avocat, celui-ci, secondé par sa femme, Guillemette, joue la comédie du mourant, qui n'a pas quitté son lit depuis des semaines.

 Une étrange agonie
LE DRAPIER

... Il couvient rendre ou pendre
Quel tort vous fais je se je vien
ici ceans pour demander le myen?
que, bon gré saint Pierre de Romme..

Il faut rendre ou bien c'est la pendaison!
Quel tort vous fais-je en venant
réclamer mon dû? Bon gré saint Pierre
de Rome...

GUILLEMETTE

Helas! tant tormentez cest homme!
Je voy bien a vostre visaige, tourmenter cet homme?
certes, que vous n'estes pas saige:
vous estes trestout forcené!

Hélas! Comment pouvez-vous tant
Je vois bien à
votre visage, certes, que vous n'avez pas
votre bon sens! Vous êtes fou à lier!

LE DRAPIER

J'enrage de n'avoir pas mon argent. argent. Helas! j'enraige que je n'ay Hélas!

GUILLEMETTE

Ha, quel niceté!
Seignez vous! Benedicite!
Ah! Quelle bêtise!
Signez-vous! Benedicite!

(elle fait sur lui le signe de la croix)

Faictes le signe de la croix. Faites le signe de la croix!

LE DRAPIER

Or regni je bieu se j'acroix Eh bien!
de l'annee drap! Quel malade!
Je renie Dieu si, de toute
l'année je donne du drap à crédit! Quel
malade!

PATHELIN

Mere de Dieu, la coronade,
par ma fye, y m'en vuol anar,
Or regni biou, oultre la mar!
Ventre de Diou! z'en dis gigone!
Mère de Dieu la couronnée!
ma foi, je veux m'en aller -
ou je renie Dieu - outre-mer!
Ventre de Dieu! J'en dis flûte!

(indiquant le drapier)

Çastuy ça rible et res ne done.
Ne carrilaine! fuy ta none!
Que de l'argent il ne me sone!
Celui-là vole et ne donne rien.
Ne carillonne pas! Fais ton somme!
Qu'il ne me parle pas d'argent!

(au drapier)

Avez entendu, beau cousin? Avez-vous compris, beau cousin?

GUILLEMETTE, au drapier

Il eust ung oncle lymosin,
qui fut frere de sa belle ante:
c'est ce qui le fait, je me vante,
gergonner en limosinois.
Son oncle était limousin, un frère de
sa belle-tante. C'est ce qui le fait,
j'en suis certaine, jargonner en limousin.

LE DRAPIER

Dea! il s'en vint en tapinois,
atout mon drap soubz son esselle.
Diable! Il s'en est allé en tapinois, avec
mon drap sous le bras.

PATHELIN, à Guillemette

Venez ens, doulce damiselle.
Et que veult ceste crapaudaille?
Alez en arriere, merdaille!
Entrez, chère demoiselle, mais que veut
ce tas de crapauds? Arrière, merdaille!

(il s'enveloppe dans sa couverture)

Sa! tost! je vueil devenir prestre.
Or sa! que le dyable y puist estre,
en chelle vielle presterie!
Faut-il que le prêtre rie
Quant il dëust chanter sa messe?
Vite! Je veux devenir prêtre. Que le
diable y soit en ce vieux nid de prêtres!
quand il devrait
Et faut il que le prestre rie
dire la messe?

GUILLEMETTE

Helas! helas! l'heure s'apresse
qu'il fault son dernier sacrement.
Hélas, hélas! L'heure approche où il
lui faut le dernier sacrement.

LE DRAPIER

Mais comment parle il proprement
picart? dont vient tel cocardie?
Mais comment parle-t-il couramment
picard? D'où vient une telle farce?

GUILLEMETTE

Sa mere fust de Picardie
pour ce le parle il maintenant[...]
Sa mère était picarde. Aussi parle-t-il
maintenant picard.

PATHELIN

Sont il ung asne que j'os braire?
Alast! alast! cousin a moy,
ilz le seront, en grant esmoy,
le jour quant je ne te verré.
Il couvient que je te herré
car tu m'as fait grande trichery;
ton fait, il sont tout trompery [...]
Huis oz bez ou drone nos badou
digaut an tan en hol madou
empedif dich guicebnuan
quez queuient ob dre douch aman
men ez cahet hoz bouzelou
eny obet grande canou
maz rehet crux dan hol con
so ol oz merueil grant nacon
aluzen archet epysy
har cals amour ha courteisy[88]
Est-ce un âne que j'entends braire?
Qu'il s'en aille! Qu'il s'en aille! Mon
cousin! Ils le seront en grand émoi le
jour où je ne te verrai pas! Il est juste
que je te haïsse car tu m'as fait grant,
tromperie. Tous tes faits sont tromperie.

-Puissiez-vous avoir des étourdissements
la nuit durant. Avec les lamentations.
Priant pour vous à l'envie. Tous vos
parents par crainte que vous ne rendiez
vos entrailles. En faisant de grandes
lamentations. À tel point que vous ferez
pitié aux chiens qui meurent de faim.
Vous aurez l'aumône d'un cercueil.
Contre beaucoup d'amour et de
courtoisie.

LE DRAPIER, à Guillemette

Helas! pour Dieu, entendez-y.
Il s'en va! Comment il guergouille![...]
Par le corps Dieu, il barbelote
ses motz tant qu'on n'y entent rien!
Il ne parle pas crestïen,
ne nul langaige qui apere.
Hélas, pour l'amour de Dieu, veillez sur
lui! Il s'en va! Comme il gargouille!
Par le corps de Dieu, c'est le cri du
canard! Les mots sont incompréhensi-
bles. Il ne parle pas chrétien ni nul
langage compréhensible.

GUILLEMETTE

Ce fut la mere de son pere,
qui fut attraicte de Bretaigne.
Il se meurt: cecy nous enseigne
qu'il fault ses derniers sacremens.
La mère de son père était originaire
de Bretagne. Il se meurt! Ceci nous
apprend que nous devons veiller aux
derniers sacrements.

PATHELIN

[...] Et bona dies sit vobis,
magister amantissime,
pater reverendissime.
Quomodo brulis? Que nova?
Parisius non sunt ova;
quid petit ille mercator?
Dicat sibi quod trufator,
ille qui in lecto jacet,
vult ei dare, si placet,
de oca ad comedendum.
Si sit bona ad edendum,
pete tibi sine mora.
Bonjour à vous, maître très aimé, père
très vénéré! Comment brûles-tu? Qu'y
a-t-il de nouveau? Il n'y a pas d'oeufs
à Paris. Que demande ce marchand? Il
nous a dit que le trompeur, celui qui
est couché au lit, veut lui donner, s'il
vous plaît, de l'oie à dîner. Si elle est
bonne à manger, demandes-en sans
tarder!

GUILLEMETTE, au drapier

Par mon serment, il se mourra
tout parlant. Comment il latime!
Vëez vous pas comme il estime
haultement la divinité?
El s'en va, son humanité:
or demourray je povre et lasse.
J'en fais serment, il va mourir tout en
parlant. Comme il dit du latin! Voyez
comme il révère hautement la divinité!
Elle s'en va, sa vie! Et moi, je demeu-
rerai, pauvre malheureuse!

LE DRAPIER, à part

Il fust bon que je m'en alasse
avant qu'il eust passé le pas [...]
Il serait bon que je parte avant qu'il ne
ne meure.

(à Guillemette)

Pardonnez-moy, car je vous jure
que je cuidoye, par ceste ame,
qu'il eust eu mon drap. A Dieu, dame:
pour Dieu, qu'il me soit pardonné!
Je vous demande pardon! Je vous jure,
sur mon âme, qu'il avait mon drap.
Adieu, madame! Pour l'amour de Dieu,
pardonnez-moi!

            Pour préparer l'étude du texte:
            - Relevez les formes du comique mises en oeuvre dans cette scène.
            - En quoi Pathelin se montre-t-il un comédien consommé?
            - Quel est l'effet produit par les «langages divers» parlés par Pathelin?


            Le drapier part, croyant avoir rêvé la vente de drap à Pathelin. Rencontrant son berger, Thibault Aignelet, il l'accuse de lui voler ses moutons et le traîne au tribunal. Thibault prend Pathelin pour avocat, qui lui indique un moyen sûr de ne pas se faire condamner: à toutes les questions du juge il répondra «Bée!». Voyant plaider le «mourant», la confusion du drapier atteint le comble: il confond sans cesse vente de drap et vol des moutons.

            Un procès embrouillé
            LE JUGE - Puisque vous êtes en présence tous deux, présentez votre cause!
            LE DRAPIER - Voici donc ce que je lui demande: monseigneur, c'est la vérité que, pour l'amour de Dieu et par charité, je l'ai elevé quand il était enfant. Quand je le vis assez fort pour aller aux champs, bref je fis de lui mon berger. Et je le mis à garder mes bêtes. Mais, aussi vrai que vous êtes là assis, monseigneur le juge, il a fait un tel carnage de mes brebis et de mes moutons que sans faute...
            LE JUGE - Mais voyons! N'était-il point votre salarié?
            PATHELIN - Bien sûr! Car, s'il s'était amusé à le garder sans salaire...
            LE DRAPIER - Puissé-je Dieu désavouer si ce n'est vous! C'est vous, sans faute!
            LE JUGE - Comment? Vous tenez la main haute? Avez-vous mal aux dents, maître Pierre?
            PATHELIN - Oui, elles me font une telle guerre que jamais je n'ai senti pareille rage. Je n'ose lever le visage. Pour l'amour de Dieu, n'interrompez pas le débat!
            LE JUGE, au drapier - Allons! Achevez votre plaidoirie! Vite! Concluez clairement!
            LE DRAPIER, à part - C'est lui, pas un autre! Par la croix où Dieu s'étendit! (à Pathelin). C'est à vous que j'ai vendu six aunes de drap, maître Pierre!
            LE JUGE, à Pathelin - Que dit-il de drap?
            PATHELIN - Il perd le fil. Il pense revenir à son propos et ne s'y retrouve plus, parce qu'il a mal appris son histoire.
            LE DRAPIER, au juge - Que je sois pendu si un autre me l'a pris, mon drap, par la sanglante gorge!
            PATHELIN - Comme le méchant homme va chercher loin les inventions qu'il forge à l'appui de sa cause! Il veut dire - quel entêtement! - que son berger avait vendu la laine (je l'ai compris!) dont est fait le drap de ma robe; il affirme en effet que son berger le vole et lui a subtilisé la laine de ses brebis.
            LE DRAPIER, à Pathelin - Dieu me frappe de malheur si vous ne l'avez!
            LE JUGE - Paix! Que diable! Vous bavardez! Eh! Ne pouvez-vous revenir à votre propos sans arrêter la cour par de tels bavardages?
            PATHELIN, riant - Je souffre, et il faut que je rie. Il est déjà si empêtré qu'il ne sait où il en est resté. Il faut que nous le ramenions à son propos.
            LE JUGE, au drapier - Allons! Revenons à ces moutons! Qu'en fut-il?
            LE DRAPIER - Il en prit six aunes de neuf francs.
            LE JUGE - Sommes-nous simples d'esprit ou comédiens? Où vous croyez-vous?
            PATHELIN - Pasambleu! Il vous fait paître! Est-il homme de bien à juger pas sa mine! Mais je suggère qu'on examine un peu sa partie adverse.
            LE JUGE - Vous avez raison. Il s'entretient avec lui. Certainement il le connaît. Approche! Parle!
            THIBAULT AIGNELET - Bée!
            LE JUGE - Quel casse-tête! Que signifie ce «bée»? Suis-je une chèvre? Parle-moi!
            THIBAULT AIGNELET - Bée!
            LE JUGE - Puisse Dieu te donner sanglante fièvre! Te moques-tu?
            PATHELIN - Croyez qu'il est fou, ou stupide, à moins qu'il ne s'imagine être parmi ses bêtes!
            LE DRAPIER - Je renie Dieu, maintenant, si vous n'êtes celui, non un autre, qui m'a pris mon drap! Ah! Vous ne savez, monseigneur, par quelle malice...
            LE JUGE - Taisez-vous donc! Êtes-vous idiot? Laissons ce détail, et venons à l'essentiel.
            LE DRAPIER - Sans doute, monseigneur, mais l'affaire me concerne: cependant, par ma foi, aujourd'hui je n'en dirai plus mot... (Une autre fois, il en ira comme il pourra. Il me faut avaler sans mâcher). Or j'exposais les circonstances dans lesquelles j'avais donné six aunes... je veux dire, mes brebis... Je vous en prie, sire, pardonnez-moi! Ce gentil maître... Mon berger, quand il devait être aux champs... Il me dit que j'aurais six écus d'or quand je viendrais... Il y a trois ans de cela, dis-je, mon berger s'est engagé à garder mes brebis loyalement, sans dommage ni vilenie... Et maintenant il nie tout net et drap et argent. (à Pathelin) Ah! Maître Pierre, vraiment... (le juge fait un geste d'impatience). Le ribaud que voici me volait la laine de mes brebis et toutes saines les faisait mourir et périr en les assommant et les frappant à grands coups de bâtons sur la tête... Quand il eut mon drap sous son bras, il partit à vive allure, et me demanda d'aller chercher chez lui, dans sa maison, six écus d'or.
            LE JUGE - Il n'y a rime ni raison en tout ce rabâchage. Qu'est-ce que c'est? Vous mêlez tout! En somme, pasambleu, je n'y vois goutte: il marmotte de drap, puis babille de brebis, à tort et à travers. Ce qu'il dit ne se tient pas.

            Pour préparer l'étude du texte:
            - Qu'est ce qui fait le comique et le dynamisme de cette scène?
            - Relevez les traits de satire de la justice.

            Le Juge, n'ayant rien compris, pense que le drapier est fou et absout Thibault. Pathelin a donc gagné le procès, Mais au moment de se faire payer par son client...

            Le trompeur trompé

            PATHELIN, au berger

Dy, Aignelet. Dis donc, Aignelet!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Vien ça, vien
Ta besongne est elle bien faicte?
Viens ça, viens! Ton affaire est-elle
bien réglée?

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Ta partie s'est retraicte;
ne dy plus «bee»; il n'y a force.
Luy ay je baillé belle estorse?
T'ay je point conseillé a point?
Ton adversaire s'est retiré. Ne dis plus
«Bée!» Ce n'est plus la peine! L'ai-je
entortillé? Mes conseils n'étaient-ils
pas opportuns?

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Hé dea! on ne t'orra point;
parle hardiment; ne te chaille.
Eh! Diable! On ne t'entendra pas: parle
hardiment! Ne t'inquiète pas!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Il est temps que je m'en aille:
paye moy!
Il est temps que je m'en aille: paie-moi!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

A dire veoir,
tu as tresbien fait ton devoir,
Ce qui luy a baillé l'avance,
c'est que tu t'es tenu de rire.
À dire vrai, tu as bien tenu ton rôle,
et ton attitude a été bonne. Ce qui lui
a donné le change, c'est que tu t'es
retenu de rire.

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Quel «bee»? Ne le fault plus dire.
Paye moy bien et doulcement!
Qu'est-ce que ce «Bée»? Il ne faut plus
le dire! Paie-moi bien et gentiment!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Quel «bee»? Parle saigement
et me paye; si m'en yray.

Qu'est-ce que ce «Bée»? Parle
raisonnablement! Paie-moi et je m'en irai.

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Sez tu quoy? je te diray:
je te pry, sans plus m'abaier,
que tu penses de moy payer.
Je ne vueil plus de ta beerie.
Paye tost!
Sais-tu? Je te dirai une chose: je te prie
sans plus me bêler après, de songer à
me payer. J'en ai assez de tes «Bée!»
Vite! Paie!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Esse mocrie?
Esse quant que tu en feras?
Par mon serment, tu me pairas,
entens tu? se tu ne t'en voles.
Sa! argent!

Est-ce moquerie? Est-ce tout ce que tu
en feras? Je te le jure, tu me paieras,
entends-tu? à moins que tu ne t'envoles!
Allons! L'argent!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Tu te rigolles!
Comment? N'en auray je aultre chose?
Tu te ris! Comment! N'en aurais-je autre
chose?

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Tu fais le rimeur en prose!
Et a qui vends tu tes coquilles?
Scez tu qu'il est? Ne me babilles
meshuy de ton «bee», et me paye!
Tu fais le rimeur en prose.
Et à qui vends-tu tes coquilles?
Sais-tu ce qu'il en est? Ne me rebats
plus désormais les oreilles de ton «Bée!»
et paie-moi!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

N'en auray je aultre monnoye?
A qui te cuides tu jouer?
Je me devoie tant louer louer
de toy! or fais que je m'en loe.
N'en tirerai-je autre monnaie? De qui
crois-tu te jouer? Je devrais tant me
de toi! Eh bien! Fais donc que je
m'en loue!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Me fais tu mengier de l'oe?[89]  Me fais-tu manger de l'oie? Maugrebleu!

(à part)
Maugré bieu! ay je tant vescu
qu'ung bergier, ung mouton vestu,
ung villain paillart me rigolle?
Ai-je tant vécu qu'un berger, un mouton
habillé, un vilain paillard, me bafoue?

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

N'en auray je aultre parolle?
Se tu le fais pour toy esbatre,
dy le, ne m'en fays plus debatre.
Vien t'en soupper a ma maison.
N'en tirerai-je pas un autre mot? Si c'est
pour te divertir, dis-le! Ne me fais plus
discuter! Viens t'en souper à la maison!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Par Saint Jehan, tu as raison:
les oisons mainnent les oes paistre!
Par saint Jean, tu as raison. Les oisons
mènent paître les oies. Je croyais être

(à part)

Or cuidoye estre sur tous maistre,
des trompeurs d'icy et d'ailleurs,
des fort coureux et des bailleurs
de parolles en payement,
a rendre au jour du jugement,
et ung bergier des champs me passe!
maître de tous les trompeurs d'ici et
d'ailleurs, des aigrefins et bailleurs de
paroles à tenir le jour du jugement, et
un berger des champs me surpasse!

(au berger)

Par saint Jaques! se je trouvasse
ung sergent, je te fisse prendre!
Par saint Jacques, si je trouvais un bon
officier de police, je te ferais arrêter!

LE BERGER

Bée! Bée!

PATHELIN

Heu, «bee»! L'en me puisse pendre
se je ne vois faire venir pas venir
ung bon sergent! Mesadvenir
luy puisse il s'il ne t'enprisonne!
Heu! Bée! Qu'on me pende si je ne fais
un bon officier! Malheur à lui
s'il ne te met pas en prison!

LE BERGER, s'enfuyant

S'il me treuve, je luy pardonne! S'il me trouve, je lui pardonne!

            Pour préparer l'étude du texte:
            - Le dénouement était-il prévisible?
            - Comment Pathelin apparaît-il dans cette dernière scène? Est-il en accord avec le personnage que nous avons vu jusqu'à présent?
            - En vous appuyant sur les fragments cités, essayez de dégager les principes sur lesquels repose la farce médiévale.

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Comments to: Mihaela VOICU; Text editor: Laura POPESCU; Last update: July, 2002